Les entreprises contraintes de fermer en raison du COVID-19 peuvent-elles obtenir réparation de leur préjudice, par l'Etat?
En théorie, oui; en pratique, le fait que toutes les entreprises d'une même catégorie soient concernées pourrait y faire obstacle.
En effet, la jurisprudence administrative retient que les mesures légales, prises dans l'intérêt général, par les autorités de police, peuvent ouvrir droit à réparation, sur le fondement du principe dit "de l'égalité devant les charges publiques".
Posé il y a quasiment cent ans, ce principe a été dégagé par le Conseil d'Etat dans une décision du 30 novembre 1923, opposant le sieur Couitéas à l'Etat français: M. Couitéas avait obtenu une décision de justice pour expulser les "indigènes" occupant ses parcelles au sein de ce qui était alors le protectorat tunisien. Il avait requis de l'Etat qu'il lui prête le concours de la force militaire d'occupation pour exécuter cette décision; concours que l'Etat lui refusait pour un motif d'ordre et de sécurité publique, l'exécution de cette expulsion risquant de causer - on le comprend - un trouble important.
En conséquence, M. Couitéas obtient du Conseil d'Etat la reconnaissance du droit à réparation du préjudice résultant de la privation de jouissance de son bien:
"considérant que le justiciable nanti d'une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; que si, comme il a été dit ci-dessus, le gouvernement a le devoir d'apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force armée, tant qu'il estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s'il excède une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé, et qu'il appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité".
Le Conseil d'Etat pose également,à cette occasion, les principes fondateurs d'une jurisprudence qui trouve toujours à s'appliquer près de 100 ans plus tard.
Pour une indemnisation au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques, plusieurs conditions doivent être cumulativement remplies:
la mesure prise par l'autorité de police doit être légale: il s'agit d'une responsabilité sans faute. Il peut s'agir par exemple d'un arrêté du maire; dans le cas du COVID-19, les différents décrets imposant le confinement et la fermeture des établissements seraient considérées comme une mesure de police justement justifiée par un motif de santé et de sécurité publiques.
le préjudice subi doit être "anormal et spécial": il faut que le requérant soit touché en particulier, et être dans une situation différente de ses homologues. A ainsi été rejeté, récemment, la demande d'indemnisation portée par une société important des boissons alcoolisées, pour défaut de spécialité du préjudice, au motif "quelles s'appliquent sans distinction à l'ensemble des fabricants et importateurs de boissons concernés distribuant ces produits sur le territoire français".
le lien de cause à effet entre la mesure imposée en raison du COVID-19, et le préjudice, doit être certain et prouvé. Dans un arrêt récent, la demande d'indemnisation de l'exploitant d'un bar-tabac a été rejetée car, s'il soutenait que sa perte de chiffre d'affaires était due à l'ouverture d'un établissement concurrent, autorisée par la commune (et engageait donc la responsabilité de la commune du fait de l'autorisation de transfert délivrée), le juge administratif considère que la baisse de son CA s'inscrit "dans un contexte global de forte réduction de la consommation de tabac et d'augmentation des ventes de cigarettes électroniques", que les commerces du quartier " périclitent les uns après les autres", et "qu'une brasserie s'est également installée à proximité de son établissement", de sorte "qu'au regard de ces évolutions, toutes susceptibles d'avoir entraîné une perte de clientèle pour cette dernière", la requérante ne démontre pas que son préjudice soit certain, ni anormal et spécial.
Dans le cas du COVID-19, s'agissant d'une mesure de police qui affecte l'ensemble du territoire national, et toutes les entreprises au sein d'une même catégorie, il serait compliqué pour les requérants potentiels d'apporter la preuve du caractère spécial du préjudice.
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